Quelle diplomatie française pour 2025 ? (Partie 1/2)

27.02.2025 - Éditorial / Interviews

Que peut-on retenir de la Conférence des Ambassadeurs du 6 janvier ?

L’objectif du Président était très clair. Il voulait faire un discours très volontariste pour répondre aux Français qui s’inquiètent d’un déclassement de notre pays. La France est certes dans une situation économique et politique fragile, qui porte atteinte à sa crédibilité, mais le Président a tenu à rappeler qu’elle conserve des atouts, qu’elle est membre permanent du Conseil de Sécurité, qu’elle a des pôles d’excellence sur le plan culturel, touristique ou technologique ainsi qu’une diplomatie active. Face à la tentation du défaitisme, il a prôné au contraire le volontarisme, l’action dans ce qui contribue au rayonnement de la France dans tous les domaines (politique, économique, culturel, défense, etc – par exemple la diplomatie active autour des JO) et ce qui contribue à renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe. Aujourd’hui, le monde change rapidement et il faut savoir s’adapter ; et selon le Président, c’est par l’Europe que les choses doivent se faire.

Au-delà de ce message général, j’ajoute deux points dans mon analyse : le discours du Président était ferme à l’égard de Poutine − ce qui me paraît d’ailleurs justifié − et en revanche maladroit à l’égard des dirigeants d’Afrique. Cela a en tout cas très clairement été perçu comme tel.

 

Aujourd’hui, la diplomatie française est-elle adaptée à l’évolution des relations internationales ?

Pendant toute une période, le monde occidental avait une forme de monopole de la gestion de la scène internationale. Le Conseil de Sécurité, tel qu’il est, représente largement les équilibres d’après-guerre, c’est-à-dire un monde où les Etats-Unis représentaient la moitié du PIB mondial et l’Europe plus du quart restant.

Aujourd’hui, il y a une évolution évidente, avec l’émergence de nouvelles puissances. Il est donc tout à fait normal et légitime − et c’est un peu dur pour les Occidentaux de sentir qu’ils n’ont plus le monopole – qu’il y ait une volonté du Sud de se faire mieux entendre. Puisque le Conseil de Sécurité des Nations Unies est bloqué du fait du droit de veto, on voit ainsi des structures parallèles se créer comme l’Organisation de Shanghai, les BRICS, etc. En revanche, certains empires en sont malheureusement revenus à la loi de la jungle. La norme internationale, qui était autrefois acceptée n’a plus l’air d’avoir cours. Il suffit de voir la façon dont Monsieur Poutine traite la Géorgie, l’Ukraine ou d’autres de ses voisins. Il suffit de voir les pressions de la Chine sur Taïwan, ou même sur ses voisins en mer de Chine du Sud. Il suffit de voir ce que le président Trump dit à l’égard de ses premiers voisins. On a l’impression que ce qui était une norme acceptée par tout le monde est aujourd’hui contestée. La mondialisation se fragmente, des blocs se créent de facto.

Pour un pays comme la France, la seule façon de pouvoir peser dans cette nouvelle donne internationale est d’essayer d’être un des leaders du pôle, du bloc Union européenne. Cela  me paraît absolument évident. Seule, elle ne pourrait pas le faire, donc ça ne pourrait être fait que dans ce cadre-là. Cela signifie pour la France jouer un rôle actif pour reprendre la construction européenne, assurer de plus en plus son autonomie stratégique vis-à-vis des Etats-Unis et naturellement de la Chine. Il s’agit d’essayer d’éviter de se retrouver dans un nouveau monde bipolaire qui n’est pas le nôtre, et au contraire essayer de se battre pour le multilatéralisme et pour la démocratie, dans un contexte de montée en puissance des régimes autoritaires.

Sur le plan de la sécurité, nous n’y sommes pas encore, parce que l’Union européenne est avant tout un géant économique et parce que les Européens ont cru pendant trop d’années au mythe de la paix éternelle. Tous nos budgets de défense se sont réduits au minimum et l’on se rend compte aujourd’hui que c’était une forme de naïveté. Nous avons également été naïfs sur le plan du commerce avec la Chine. Aujourd’hui, il faut que l’Europe se ressaisisse, c’est-à-dire que, sans inhibition et sans naïveté, elle ne soit plus un jouet entre les Etats-Unis et la Chine et qu’elle défende ses intérêts propres. Cela étant, nous avons avec les Etats-Unis des rapports d’alliance que nous n’avons pas avec la Chine, il faut bien les distinguer et ne pas mettre sur le même plan des partenaires avec lesquels nous n’avons pas les mêmes relations.

 

Trump ne veut plus financer ni s’engager avec l’OTAN. Pouvons-nous, Français, Européens, nous défendre sans les Américains ?

Pour le moment, la réponse est non. Face à la menace russe, il n’y a aucun doute sur le fait que la sécurité européenne repose d’abord sur l’OTAN. Ceux qui parlent de vivre sans l’OTAN se font beaucoup d’illusions. Une fois que les Européens auront renforcé le pilier européen de l’Alliance, il y aura à terme un rééquilibrage au sein de l’Alliance Atlantique.

Puisque le président Trump estime que la priorité des Etats-Unis est naturellement la compétition avec la Chine, ils doivent pouvoir se désengager d’Europe ou du Moyen-Orient.

 

Le trumpisme est-il devenu structurel et non pas conjoncturel ?

Il y a aux Etats-Unis à la fois un mélange de nationalisme fort et en même temps une volonté de défendre leurs intérêts (America First), mais c’est un phénomène qui est malheureusement devenu général. Nos amis saoudiens disent également “Saudi first”. La Russie ne raisonne que comme ça, Erdogan aussi, la Chine également.

Alors qu’autrefois, la norme internationale reposait sur l’imposition de règles pour tout le monde, nous sommes entrés dans un monde marqué par la résurgence d’un certain nombre d’impérialismes : l’impérialisme russe (visible en Ukraine et ailleurs), l’impérialisme chinois (auprès de Taïwan et en Chine du Sud), l’impérialisme iranien (sur tout l’ensemble du Moyen-Orient), l’impérialisme turc (au Moyen-Orient ou encore en Azerbaïdjan), et maintenant l’impérialisme américain (Canada, Groenland, Panama, etc).

Il y a un phénomène progressif, une trend générale visible y compris au-delà de Monsieur Trump au sein de l’opinion publique américaine, selon laquelle les Etats-Unis ne veulent plus être les gendarmes de la planète. Ça ne veut pas dire qu’ils se désengagent totalement, comme on vient de le voir par exemple au Moyen-Orient.

Ce que je veux dire, c’est qu’il faut que les Européens prennent conscience qu’ils ne peuvent pas tabler sur une protection éternelle, complète et inconditionnelle des Etats-Unis. Il faut qu’ils assument de plus en plus leurs responsabilités. Je ne crois pas aux révolutions, je ne crois qu’aux réformes. Progressivement, il faut développer le pilier européen de l’Alliance, en conservant ce lien stratégique et important entre les Etats-Unis et l’Europe, car face à la menace russe, nous avons toujours besoin du nucléaire américain. Nous avons la chance en France d’avoir le nôtre, mais nos autres partenaires ne sont pas du tout dans cette situation. On ne fera pas une Europe si la plupart de nos partenaires, face à la menace nucléaire russe, disent avoir besoin de la menace nucléaire américaine, ce qui est un fait pour le moment.


Mais peut-on croire à une intégration stratégique militaire européenne à partir du moment où les pays européens n’achètent pas européen et achètent américain ?

Effectivement, dans l’esprit du président Trump, à partir du moment où les Européens font un effort de défense, cela signifie qu’ils vont acheter américain. Or, la première des choses à faire quand on veut développer le pilier européen de l’Alliance, c’est de développer l’Europe de l’armement. C’est pour cela que nous rentrons, heureusement ou malheureusement, dans une relation plus transactionnelle avec le président Trump. Apprenons, nous aussi, à devenir transactionnels. Nous avons également des cartes à jouer. Dans le type d’accord qu’il y aura entre les partenaires de l’Alliance Atlantique, la question de l’armement sera un véritable sujet où nous devons affirmer une forme de préférence européenne.

 

Certains disent que la Russie est un ennemi, d’autres un partenaire. Qu’en pensez-vous ?

Selon moi, la Russie n’est pas un ennemi, mais elle est une menace pour le moment, avec le régime qu’elle a actuellement. Cela signifie qu’il faudra effectivement que l’on trouve un nouveau modus vivendi avec la Russie, mais certainement pas en acceptant ses conditions. L’impérialisme russe en Europe, nous n’en voulons pas, et nous ferons le nécessaire pour éviter que cela n’arrive.

Cela étant, la Russie n’est pas un ennemi. C’est une magnifique civilisation, une magnifique culture, et ce sont des Européens dans une large partie. Nous devrons trouver un équilibre avec eux, mais pas pendant la période où ils sont en plein errement stratégique, et où ils se mettent totalement dans la main des Chinois sans se rendre compte que c’est une menace pour eux-mêmes à terme. Pour le moment, nous sommes donc obligés de les contrer, de faire en sorte que leurs rêves impériaux ne fonctionnent pas.

 

Il reste deux ans au président Macron avant la fin de son dernier mandat. Peut-il réaliser tout ce dont il a envie ? Combien de temps nous faudra-t-il pour retrouver une diplomatie influente ?

Je n’ai pas de boule de cristal sur le plan de la politique intérieure. Il y a une volonté dans le pays de sortir de ce marasme et d’essayer de retrouver un minimum de stabilité.

Une diplomatie qui est réussie s’appuie sur une économie forte, une défense forte et un pouvoir politique stable. Je n’ai pas la réponse totale sur la question de la stabilité politique. Il y a maintenant une volonté d’essayer de régler le problème de la dette, qui est le premier problème, car un Etat endetté à ce point-là a, en général, un crédit limité. En Europe, on voit certains pays européens du Sud – je pense à l’Espagne en particulier – qui étaient extrêmement endettés et que l’on appelait les « hommes malades », et qui sont aujourd’hui ceux qui se portent le mieux. Cela veut dire que si l’on arrive à avoir une politique courageuse pour réguler le problème de la dette et renforcer notre outil économique, nous n’avons aucune raison de ne pas penser qu’à un horizon de trois, quatre ans, nous ne retrouverons pas des couleurs.

Je ne vois pas pourquoi la France, un pays riche avec des élites, des pôles d’excellence remarquables et un sens national fort, ne serait pas capable de remonter la pente. Je reconnais que nous sommes dans une période difficile, mais le propre de tout diplomate est de rester optimiste.

Diffusée par Pangée TV le 12 février 2025

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.