Médiations arabes

14.03.2025 - Éditorial

Que peut-on retenir du plan arabe pour Gaza ?

La feuille de route prévoit une première phase d’urgence de six mois, suivie de deux phases de reconstruction qui s’étendront sur quatre ans et demi.

Les pays arabes ont proposé, mardi 4 mars, une alternative au projet de Donald Trump de déplacer les Gazaouis de l’enclave et de placer le territoire sous contrôle américain. Réunis au Caire pour un sommet d’urgence, Ies 22 États membres de la Ligue arabe ont approuvé un plan égyptien bien loin d’une “Riviera du Moyen-Orient”, qui comprend la reconstruction de la bande de Gaza − sans en déplacer les habitants − et le retour de l’Autorité palestinienne (AP) au pouvoir.

Mais quelques heures seulement après sa révélation, l’administration Trump avait déjà rejeté la proposition arabe, estimant qu’elle “ne tient pas compte du fait que Gaza est actuellement inhabitable”, selon les déclarations du porte-parole du Conseil de sécurité nationale, Brian Hughes. Un revers attendu ? Car les dirigeants de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis ont marqué de leur absence le sommet d’urgence au Caire. Et alors que Riyad s’était fermement opposé au plan de Donald Trump, l’absence constatée du prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane (MBS) interroge sur le soutien des poids lourds de la région à ce plan. D’autres points d’achèvement s’accumulent et menacent la réalisation du plan arabe.

Un projet de gouvernance encore flou

Le plan prévoit que la bande de Gaza serait administrée pendant une période de transition par un comité de technocrates palestiniens sans affiliation à une faction palestinienne, avant de permettre à l’Autorité palestinienne de reprendre le contrôle de l’enclave. Un plan qui ne tient pas compte des réalités de la situation pour Israël, d’autant qu’un retour de l’AP à la tête de l’enclave représente une ligne rouge pour Tel-Aviv.

Si le plan, d’une centaine de pages, ne mentionne pas la tenue d’élections à Gaza, le président de l’AP, Mahmoud Abbas, a déclaré lors du sommet au Caire, qu’un scrutin présidentiel pourrait avoir lieu l’année prochaine “pourvu que les conditions soient réunies”, alors que les dernières élections à Gaza ont eu lieu il y a vingt ans. Le président de 89 ans a également proposé de créer un poste de vice-président, sans apporter plus de détails. Il a cependant laissé entendre qu’il pourrait amnistier un certain nombre de ses rivaux politiques qui ont été expulsés de la formation qu’il dirige, le Fateh.

Un plan sécuritaire sans le Hamas ?

Pour maintenir la sécurité dans l’enclave palestinienne, le plan arabe prévoit une formation pour les policiers palestiniens dispensée par l’Égypte et la Jordanie, et un déploiement des effectifs à Gaza. Mardi 4 mars, les pays arabes ont également appelé le Conseil de sécurité des Nations unies à permettre la mise en place d’une mission de maintien de la paix pour superviser la gouvernance dans l’enclave jusqu’à la fin de la reconstruction.

Mais la Ligue arabe reste floue sur les perspectives de désarmer le Hamas, une condition sine qua non pour Washington et Tel-Aviv. Car si de son côté le Hamas a « salué » l’initiative de la Ligue arabe et la création d’un comité chargé de gérer le territoire après la guerre, Sami Abu Zuhri, haut responsable du mouvement islamiste, a déclaré à l’agence Reuters que le dépôt des armes du groupe n’était pas négociable.

Selon des sources citées par Bloomberg, des désaccords existent toutefois au sein de la Ligue arabe sur la place qu’occupera le Hamas dans la future gouvernance de Gaza. Si l’Arabie saoudite est favorable à son retrait complet de la direction de l’enclave − de même que les Émirats arabes unis −, Riyad estime que le groupe doit être pris en compte dans les discussions pour éviter une radicalisation future des éléments les plus modérés.

Des financements difficiles à trouver

Le plan de reconstruction de Gaza imaginé par la Ligue arabe nécessite 53 milliards de dollars sur cinq ans, conformément à des estimations antérieures de l’ONU. Mais il reste à savoir si les donateurs seront assez nombreux pour soutenir le coût du plan, d’autant plus si la présence du Hamas à Gaza n’est pas entièrement réglée. Pour la réalisation des trois différentes étapes de la reconstruction, la Ligue arabe a convenu de créer un fonds, ouvert à la contribution internationale, destiné aux financeurs.

Si la position tranchée de Washington ne semble laisser que peu de chances de voir le plan se concrétiser, les responsables jordaniens ont toutefois déclaré à CNN que le plan serait présenté au président américain dans les semaines à venir.

 

 

L’Arabie saoudite rejoint la course régionale à la médiation et à la consolidation de la paix

Le récent sommet États-Unis-Russie mardi 18 février organisé par l’Arabie saoudite souligne les efforts du Royaume pour promouvoir la paix à l’échelle internationale. Au Moyen-Orient, il œuvre à l’élaboration d’un plan viable de reconstruction et de consolidation de la paix à Gaza, tout en soutenant la reconstruction et la stabilisation de la Syrie. Toutefois, l’Arabie saoudite est confrontée à des pressions économiques dues à la volatilité des prix du pétrole et aux coûts des projets ambitieux liés à Vision 2030. Elle doit également faire face à la concurrence d’autres médiateurs expérimentés dans la région.

Lors de cette première négociation significative entre les États-Unis et la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine par Moscou en 2022, les deux parties se sont réunies à Riyad pour explorer une issue au conflit ukrainien. Elles ont convenu de créer des équipes de haut niveau chargées de rédiger un accord de paix « durable, soutenable et acceptable pour toutes les parties« , bien que l’Ukraine n’ait pas été présente aux discussions. Les pourparlers ont également abordé une éventuelle coopération entre les États-Unis et la Russie.

Malgré l’incertitude quant aux résultats de ces discussions et les tensions persistantes entre les deux puissances, la tenue du sommet à Riyad démontre la capacité de l’Arabie saoudite à réunir des acteurs mondiaux majeurs autour de la table des négociations. Dans la même semaine, le Fonds d’investissement public saoudien a organisé à Miami son sommet FII Priority, auquel le président Trump a assisté.

L’Arabie saoudite, un médiateur régional depuis le XXe siècle

Le Royaume n’est pas novice en matière de diplomatie et a déjà joué un rôle de médiateur entre adversaires régionaux à plusieurs reprises au XXe siècle. Dans les années 1970, sous le règne du roi Fayçal, l’Arabie saoudite a activement soutenu les négociations de paix au Soudan, notamment l’accord d’Addis-Abeba en 1972, et a contribué à des mouvements anticoloniaux en Afrique, ainsi qu’à la collecte d’aides durant la guerre du Biafra. Motivé par la solidarité panarabe et islamique ainsi que par son engagement en faveur de l’autodétermination africaine, le roi Fayçal a jeté les bases des efforts de médiation saoudiens actuels.

Le Royaume a notamment joué un rôle clé dans l’accord de Taëf en 1989, qui a mis fin à la guerre civile libanaise. Il a facilité les discussions entre factions politiques libanaises, soutenu l’intégrité territoriale du Liban face aux ingérences syriennes et israéliennes, et apporté une aide à la reconstruction post conflit. En 1990, le roi Fahd a également facilité une rencontre diplomatique entre le Koweït et l’Irak à Djeddah, afin de tenter d’apaiser les tensions avant la guerre du Golfe et d’éviter l’invasion irakienne. Plus récemment, l’Arabie saoudite a aussi contribué à des processus de paix en Somalie, en Libye, au Soudan du Sud, en Érythrée et en Éthiopie.

De WENA à MENA : la place des puissances intermédiaires dans la médiation internationale

Historiquement, les efforts de médiation et de consolidation de la paix ont été dominés par l’Occident, ce que les experts du Moyen-Orient désignent par l’acronyme WENA (Western Europe and North America). Malgré les interventions économiques et politiques occidentales, le Moyen-Orient, l’Afrique et d’autres régions restent marqués par des crises géopolitiques récurrentes. La médiation de WENA a souvent adopté une approche standardisée et légaliste, qui a échoué à instaurer une paix durable.

Dans ce contexte, de nouveaux acteurs, comme l’Arabie saoudite, s’imposent progressivement sur la scène de la médiation internationale pour pallier les lacunes des puissances traditionnelles. L’entrée de puissances intermédiaires dans la résolution des conflits devient essentielle à une époque de forte instabilité géopolitique. L’Arabie saoudite, en particulier, bénéficie d’un capital culturel dans le monde arabe et islamique qui lui confère une légitimité pour accueillir ce type de négociations. Cette évolution s’inscrit également dans la volonté du Royaume de s’éloigner de sa dépendance historique à l’Occident sur le plan économique, militaire et diplomatique. Une politique étrangère audacieuse et plus indépendante s’aligne avec les objectifs de Vision 2030, qui vise à transformer l’image du pays et à forger une nouvelle identité nationale.

Un message aux États-Unis ?

La relation bilatérale entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, bien qu’historiquement importante, a traversé des tensions, notamment sous la présidence de Joe Biden. Le rapprochement initial du Royaume avec l’Iran, ainsi que ses liens croissants avec la Chine, la Russie et le Sud global, ont accru son autonomie diplomatique. Si la relation entre Trump et l’Arabie saoudite avait été plus positive durant son premier mandat, la transformation économique et diplomatique du Royaume ces dernières années lui confère désormais un levier d’influence vis-à-vis de Washington.

Ce sommet États-Unis-Russie en Arabie saoudite envoie également un message clair : Riyad entretient ses relations avec Moscou depuis 2022 et est en mesure d’utiliser ces liens pour faciliter des négociations d’envergure. Par ailleurs, la réduction récente de l’aide internationale américaine contraint la politique mondiale à se diversifier et à adopter une approche multipolaire. Les puissances intermédiaires et émergentes continueront à forger de nouvelles alliances, à réévaluer leurs relations passées et à se positionner comme des ponts diplomatiques clés.

Les défis de la médiation saoudienne

Le rôle croissant de l’Arabie saoudite dans la médiation s’aligne avec Vision 2030, qui ambitionne de passer d’une politique étrangère confrontante à un leadership régional diplomatique.

Cependant, ces efforts sont confrontés à des défis :

  • L’économie saoudienne souffre de la volatilité des prix du pétrole, du coût élevé des infrastructures et d’investissements ambitieux qui commencent à être revus à la baisse.
  • Une augmentation de la dépendance à ses partenaires occidentaux affaiblirait sa capacité à rester un médiateur neutre.

Dans les années 1990, après son engagement dans la libération du Koweït, le Royaume avait rencontré des difficultés économiques similaires, dues aux bas prix du pétrole, à une population en croissance et aux coûts de ses engagements diplomatiques.

La concurrence du Qatar

L’Arabie saoudite n’est pas seule dans cette course à la médiation. Le Qatar possède une expérience éprouvée en matière de négociations et bénéficie d’une reconnaissance internationale. Son rôle clé dans les négociations entre le Hamas et Israël en 2023, notamment pour un cessez-le-feu et un échange de prisonniers, a renforcé sa crédibilité.

À travers cette rivalité pour le leadership diplomatique, les États du Golfe chercheront à négocier des accords majeurs, notamment entre les États-Unis et l’Iran, qui constituerait une victoire diplomatique majeure pour le médiateur qui y parviendrait.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.