Le Moyen Orient fait la une de l’actualité depuis le 7 octobre 2023 avec l’attaque terroriste du Hamas en Israël et la guerre qui a suivi à Gaza, puis au Liban. S’y ajoute la chute du régime syrien de Bachar el Assad et les propositions parfois surprenantes du président Trump.
La donne au Moyen Orient est donc profondément bouleversée, avec autant d’incertitudes sur le risque d’une confrontation israélo-iranienne que d’interrogations sur un règlement régional américano-iranien, sur une solution de la question palestinienne, mais aussi sur la reconstruction du Liban et de la Syrie.
Pour tenter de répondre à ces différents points, il convient de passer en revue les objectifs des principaux acteurs dans la région :
1. Le rôle des États-Unis
Ils demeurent la puissance dominante au Moyen Orient et tous les acteurs se positionnent actuellement par rapport aux initiatives du président Trump. Celui-ci ne dissimule pas que sa priorité est la compétition avec la Chine et que, pour ce motif, il souhaite un désengagement militaire partiel américain à la fois en Europe (cf le débat à l’OTAN) et au Moyen Orient (notamment en Irak et en Syrie). C’est la raison pour laquelle il demande aux Européens d’assumer eux-mêmes la sécurité en Europe et qu’au Moyen Orient, il voudrait créer une coalition entre Israël et les États du Golfe pour contenir l’Iran ; ce qui implique une normalisation entre l’État hébreu et l’Arabie Saoudite – que Trump présente donc comme une priorité dans la zone.
Vis-à-vis de l’Iran, le nouveau locataire de la Maison Blanche ne souhaite apparemment pas un engagement militaire américain au côté d’Israël pour détruire les installations nucléaires iraniennes. Il préfère à ce stade négocier en position de force avec Téhéran, profitant de l’affaiblissement de la République Islamique — en raison de sa situation économique désastreuse, du renforcement de l’opposition intérieure et de la perte de ses « proxies » dans la région. Le but est d’arrêter le programme nucléaire iranien, d’encadrer son programme balistique et de mettre un terme aux actions déstabilisatrices des milices chiites au Moyen Orient.
Toutefois, Téhéran n’entend pas négocier sous la pression américaine et on ne peut exclure que — faute d’accord — Trump donne un jour son feu vert à Netanyahou pour bombarder les installations nucléaires iraniennes, ce qui ouvrirait la boite de Pandore au Moyen Orient.
2. Les acteurs de la région
● L’Iran
Le régime mafieux iranien, aux mains des Gardiens de la Révolution, tient essentiellement à conserver le pouvoir et l’argent qui va avec. L’« axe de la résistance » dans la région, dominé par l’Iran, n’a pas résisté aux attaques israéliennes après le pogrom du 7 octobre, et aujourd’hui Téhéran espère limiter les concessions à Trump dans la négociation envisagée.
Il y a donc un point d’interrogation sur la possibilité d’un arrangement régional entre les Etats-Unis et l’Iran — qui pourrait se faire avec l’aide de l’Europe, des pays du Golfe et peut-être de la Russie et de la Chine – mais surtout en fonction de l’attitude qu’adoptera le président Trump (que personne ne s’aventure à prévoir…).
Netanyahou, après avoir fortement affaibli le Hamas et le Hezbollah, aimerait « finir le travail » en détruisant les capacités nucléaires de l’Iran, c’est-à-dire en éliminant systématiquement toutes les menaces à la sécurité d’Israël. Mais pour mener une telle opération militaire en Iran, Israël a besoin de l’assistance militaire des États-Unis. Or le président Trump veut éviter un nouvel engagement militaire américain au Moyen-Orient et il donne la priorité à la négociation avec Téhéran.
● Les pays du Golfe
Ils voient avec satisfaction l’affaiblissement de l’influence iranienne dans la région, mais veulent aussi éviter un conflit qui ferait fuir les investisseurs internationaux, alors que leur priorité est clairement de réussir leurs grands projets socio-économiques (les « Vision 2030 »), qui nécessitent la stabilité pour attirer ces investisseurs.
C’est la raison pour laquelle le prince héritier saoudien MBS a rétabli les relations diplomatiques avec l’Iran et poursuit un dialogue visant à éviter des malentendus susceptibles de mener à une confrontation dans la région. L’Arabie Saoudite entend en réalité jouer un rôle incontournable dans tout règlement au Moyen-Orient. Elle a entrepris une politique de médiation — récemment dans le conflit ukrainien — et s’émancipe progressivement de la tutelle diplomatique de Washington. Le royaume s’est en effet rapproché de la Chine, a une bonne coopération pétrolière avec la Russie et envisage de rejoindre les BRICS.
Avec les États-Unis, Riyad a désormais une relation transactionnelle, tout en cherchant à préserver une protection sécuritaire américaine. Outre cette question de garanties de sécurité, il faut donc s’attendre prochainement à une négociation serrée entre Trump et MBS sur deux sujets principaux : le prix du pétrole (l’un voulant sa baisse et l’autre sa hausse) et la perspective de création d’un État palestinien, en échange d’une normalisation avec Israël. Là aussi, il est trop tôt pour savoir si ces deux alliés parviendront à un « deal » entre eux.
● La Turquie
Le président Erdogan ne dissimule pas ses ambitions néo-ottomanes dans la région, mais la situation économique difficile de son pays limite sa marge de manœuvre, ce qui explique ses avances auprès des pays du Golfe.
Il est néanmoins intervenu de façon décisive dans le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et son armée est présente en Syrie et en Irak, afin d’écarter toute autonomie kurde dans ces pays (qui créerait un précédent redouté en Turquie). Erdogan veut aussi le retour des réfugiés syriens chez eux, d’où son soutien aux nouvelles autorités à Damas. Il se perçoit également en leader du monde sunnite, en se présentant comme le principal soutien de la cause palestinienne.
Enfin, avec ses voisins iranien et russe, il manie l’ambiguïté entre coopération et compétition, ce qui reflète en réalité les rapports historiques compliqués entre ces trois anciens empires. La Turquie aura dans tous les cas un rôle à jouer dans la reconfiguration du Moyen-Orient.
● L’Irak
C’est un pays bénéficiant de ressources importantes mais souffrant d’une situation politique intérieure fragile. Encore largement dans la mouvance iranienne, il devrait cependant profiter de l’affaiblissement de Téhéran pour renforcer son autonomie et se rapprocher des pays arabes, du Golfe en particulier. Mais sa composition ethnique complexe ne devrait pas lui permettre de retrouver son caractère d’État fort de la région qu’il avait autrefois. Ses ressources attirent néanmoins l’intérêt des entreprises, notamment françaises.
● La Syrie
Ce pays est dans une situation désastreuse : près de la moitié de sa population a été déplacée ; son PIB n’est plus que de 10% de ce qu’il était en 2010 ; ses ressources en hydrocarbures sont limitées ; et il doit préserver une cohabitation avec les minorités kurde, alaouite et druze. Le nouveau régime a certes un passé terroriste qui suscite la méfiance occidentale, mais il a donné des garanties verbales de comportement, qui doivent cependant se concrétiser. Il bénéficie surtout de l’appui des pays du Golfe, et l’Europe vient aussi de décider l’octroi d’une assistance financière significative.
Toutefois, les ingérences extérieures (israélienne, turque et iranienne) compliquent la tâche des autorités de Damas et il faudra du temps pour reconstruire cet État aujourd’hui en faillite.
● Le Liban
Le pays du Cèdre bénéficie aujourd’hui d’une fenêtre d’opportunité avec l’affaiblissement du Hezbollah et la chute du régime de Bachar el Assad en Syrie. L’élection d’un nouveau président et la nomination d’un nouveau Premier Ministre – tous deux compétents – permettent en effet de percevoir enfin « la lumière au bout du tunnel ».
Mais — même avec l’aide internationale – il faudra du temps et un tact politique certain pour reconstruire l’État libanais sur de nouvelles bases et entreprendre les réformes indispensables pour faire redémarrer l’économie du pays. Le pays pourra néanmoins compter sur la résilience de sa population et la qualité de ses élites, ainsi que sur l’aide de sa diaspora, des pays du Golfe et de la communauté internationale.
● L’Égypte
Ce pays reste un poids lourd de la région et est incontournable pour tenter de trouver une solution équitable à la question palestinienne. Il refuse naturellement l’implantation des Gazaouis sur son territoire. Le Caire peut en tout cas compter sur la coopération des pays du Golfe pour atténuer les difficultés de sa situation économique.
● La Jordanie
Elle reste un État fragile mais aussi un partenaire loyal des pays occidentaux. Il est également exclu qu’elle accueille une partie des Gazaouis et elle peut compter sur l’assistance traditionnelle des pays du Golfe.
3. Les puissances extérieures à la région
● La Russie
Moscou s’est réengagé au Moyen-Orient lors de la guerre en Syrie au côté du président Bachar el Assad. L’éviction de ce dernier est un échec pour la Russie qui négocie cependant avec le nouveau pouvoir à Damas le maintien de ses bases en Syrie. Celles-ci sont en effet un relais important en Méditerranée orientale vers l’Afrique, où Moscou cherche à développer son influence. Poutine a par ailleurs une relation étroite avec l’Iran — qui lui livre des armements — et souhaite profiter de son rapprochement avec Trump pour jouer un rôle de médiateur entre les Etats-Unis et l’Iran.
● La Chine
Pékin est le premier partenaire commercial de la plupart des pays de la région et le premier client du pétrole du Golfe, avec qui il multiplie les coopérations économiques. La Chine entend désormais accroître son rôle politique dans la région et a notamment été le parrain du rétablissement du dialogue saoudo-iranien. Elle souhaite également participer au règlement du conflit israélo-palestinien en invitant les protagonistes à Pékin.
● L’Europe
Les pays européens ont joué un rôle important dans la négociation de l’accord nucléaire avec l’Iran. En revanche, leurs divisions sur la question israélo-palestinienne les empêchent de prendre des initiatives collectives alors que l’UE est le premier fournisseur d’aide à l’Autorité palestinienne. Face au bulldozer Trump, les Européens parviendront-ils à s’imposer dans les négociations sur Gaza et sur l’Iran ? Il faut l’espérer mais ce n’est pas acquis.
- La France
Notre pays est sans contestation le pays européen le plus actif politiquement au Moyen-Orient. Il l’a démontré récemment en contribuant, aux côtés des États-Unis, au cessez-le-feu au Liban et à l’élection du général Joseph Aoun à la présidence de la République. Paris a également de bonnes relations avec l’Égypte, les pays du Golfe, la Jordanie et l’Irak, et jouera un rôle actif dans la reconstruction du Liban et de la Syrie.
La France a en revanche des relations actuellement tendues avec Netanyahou et le régime iranien. Elle espère que son initiative conjointe avec l’Arabie Saoudite de conférence internationale à New York en juin prochain sur la solution à deux États lui permettra de contribuer à une sortie de la crise à Gaza et à une solution équitable à la question palestinienne. La priorité aujourd’hui au Moyen-Orient est en effet de trouver une solution à la crise à Gaza : qui gèrera l’enclave ? Comment promouvoir une autorité palestinienne crédible ? Quelle perspective de création d’un État palestinien ? Les États arabes ont proposé un plan qui est une alternative à la formule farfelue de « Riviera du Moyen Orient » préconisée par Trump. Ce plan arabo-islamique devrait être une base de négociation, malgré les réticences israélo-américaines. La proposition franco-saoudienne de conférence sur la solution à deux États devrait, souhaitons-le, permettre d’avancer sur cette question difficile, qui hypothèque depuis longtemps la stabilité et le développement du Moyen-Orient.